Faire vivre l'humain au cœur de l'économie.


Bienvenue sur le blog de Finance for Entrepreneurs. Voici notre traduction de « finance for entrepreneurs » : mettre la finance au service des entrepreneurs ! Pourquoi ce projet ? Pour faire vivre l’humain au cœur de l’économie. Comment ? Suivant l’adage « Pour changer l’économie, changez les outils de mesure de l’économie », nous proposons 12 indicateurs d’évaluation et de dynamisation du capital-dirigeants (capital-humain). Ils permettent à nos adhérents certifiés d'animer des formations.


Finance for Entrepreneurs est un groupe de recherche, une communauté réelle. Notre intérêt commun ? La dimension humaine de l'entrepreneuriat et du capital-investissement. Depuis 2008, nous nous sommes constitués en association à but non lucratif, indépendante et autofinancée. Précurseurs en psychologie entrepreneuriale, nous sommes membres de l'Observatoire de l'immatériel.

jeudi 1 décembre 2011

Les PDG mégalo sont plus efficaces ? (Oui mais...)

"Quatre chercheurs de l'IMD (Suisse), de l'université de Pennsylvanie et de l'université d'Erlangen-Nuremberg (Allemagne) ont tenté de chiffrer le phénomène en se penchant sur des patrons de laboratoires pharmaceutiques. Résultat : "Nous avons découvert le bon côté du narcissisme", affirment les chercheurs. "Grâce à leur extrême confiance en eux-mêmes, les PDG dotés de puissants ego pourraient bien être les meilleurs quand des décisions courageuses et non conventionnelles doivent être prises pour sauver une entreprise."

"Les chercheurs ont examiné comment 78 patrons de 33 compagnies pharmaceutiques américaines avaient réagi à l'émergence des biotechnologies entre 1980 et 2008. Ils ont mesuré leur "narcissisme" en évaluant combien de fois ils apparaissaient en photo dans les bilans annuels de leur entreprise, selon quelle fréquence leur nom était cité dans les communiqués de presse, et ont mesuré l'écart entre leur paye et celle du numéro 2 de leur compagnie, intéressements et stock-options inclus. Les chercheurs ont alors constaté que les patrons mégalos s'adaptaient mieux et plus vite à ces nouvelles technologies que les autres."

"Ils nuancent néanmoins leurs résultats ainsi : "On peut également imaginer un PDG narcissique qui investit agressivement dans des nouvelles technologies qui ne fonctionneront pas et qui pénalise ainsi sévèrement son entreprise." http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/11/22/ijob-un-pdg-megalomaniaque-serait-plus-efficace-que-les-autres/

> Comment détecter et accompagner des caractères forts mais pas caractériels ? Finance for Entrepreneurs travaille la question depuis 2008 et valorise 15 ans de recherche en psychologie entrepreneuriale ! La première production de ce projet collaboratif indépendant associant consultants, investisseurs et entrepreneurs est la conception et l'expérimentation de 11 indicateurs pour la cartographie et l'accompagnement du potentiel entrepreneurial et des risques liés aux dirigeants. Les applications business (hors Finance for Entrepreneurs) rencontrent un accueil enthousiaste !


Quelles qualités fondamentales (configuration clé) génèrent et régulent ces tempéraments ? Extraits du compte-rendu de la 2ème session du séminaire Capital-investisseurs de Finance for Entrepreneurs du 17 juin 2009
Par Matthieu Langeard


Proposition 1 : la maturité de l’ego (narcissisme positif)

Le narcissisme est positif, constructif, quand l’estime de soi et la confiance en soi ont été fabriquées par l’entrepreneur lors de sa trajectoire de vie : par la traversée d’épreuves, de crises, et grâce à des rencontres clés. C’est donc un phénomène secondaire vs. le narcissisme primaire (de base) où l’estime de soi et la confiance en soi sont comme données au dessus du berceau par une fée (ou une grande école).

La question centrale de notre approche de cartographie des forces-fragilités entrepreneuriales de dirigeants est donc : quels sont les moments et rencontres clés de votre vie ? Il est frappant de voir, par exemple, qu’un certain nombre de nouveaux entrepreneurs n’évoquent pas de rencontres clés : ils semblent s’être fait tout seuls, ce qui n’est ni souhaitable ni vraiment possible. L’accès à la gratitude, à la reconnaissance de ce que l’on a reçu des autres (ce qu’on leur doit), est un des marqueurs de la positivité du narcissisme.

Deuxième élément de définition de la maturité de l’ego : les aspirations grandioses (rêves, ambitions) sont toujours bien vivantes, mais ajustées. L’enfant nait un peu mégalo et tout puissant. A l’âge adulte, il doit garder ses rêves, ses ambitions – sinon il se banalise, il devient un mouton dans le troupeau – mais les ajuster au monde réel (principe de réalité), sinon il devient… vraiment mégalomane. Entre banalisation et mégalomanie, la porte est donc étroite. Est-ce le chas de l’aiguille dont parle la bible  et par lequel doit passer le chameau ? Je le crois.

Ce fine tuning de l’ego est au cœur de la plupart des traditions culturelles et spirituelles. L’ego, c’est un boulet pour tout le monde. Mais mieux vaut en avoir que pas du tout. Surtout quand on est entrepreneur. Après, toute la question est de voir s’il est plutôt constructif ou… destructeur. Ce n’est jamais très net, ni définitif, mais il est important d’y regarder à deux fois avant d’investir.

Je vous présenterai dans la deuxième partie de ma présentation des fusées éclairantes qui nous permettent d’avoir une certaine visibilité concernant la configuration clé recherchée. L’approche postmoderne des sciences humaines (French Theory, i.e. G. Deleuze, M. Foucault, E. Morin,…) a calmée notre besoin d’une compréhension parfaitement rationnelle et exacte de l’humain (profiling) qui, définitivement, ne rentre pas dans les cases. L’évaluation des hommes dont être respectueux de la diversité et de la complexité des personnes pour être… efficace.

Les bénéfices d’une relative maturité de l’ego sont considérables :
  • La tolérance à l’ambigüité et à la contradiction. On retrouve là 1/ la capacité à prendre des décisions rapides dans un environnement confus de pionnier (le manager d’une business unit  de Nestlé qui a besoin de consulter dix personnes avant de bouger le petit doigt n’est pas adapté à l’environnement hautement entrepreneurial d’une start up) 2/ la capacité à simplifier la complexité du leader 3/ la principale caractéristique de l’individu créatif.
  • Une bonne compréhension / acceptation de la solitude. C’est la principale épreuve évoquée par les entrepreneurs.
  • Une moindre prise à la soumission : cf. la capacité du pionnier à déplacer les règles, bouger les lignes, parfois à la limite de la légalité.
  • Le sens du collectif (et même de la « mission » disent les américain avec un sens certain du marketing). C’est un autre marqueur important du narcissisme positif. Il est donc toujours intéressant de voir si l’entrepreneur est, d’une façon ou d’une autre, un peu transcendé par autre chose que son intérêt personnel. Selon Joseph Campbell, anthropologue américain, les mythes du monde sont tous porteurs d’un même modèle, d’une même pédagogie : le héros (ou l’héroïne). Il lui arrive généralement une aventure en trois temps. 1/ Le départ : remise en cause de statu quo, prise de risque, début de la trajectoire solitaire. 2/ L’aventure initiatique : les épreuves, les crises, et les rencontres clés. 3/ Le retour : fort de son parcours, le héros met son expérience au service de sa communauté. Servir est donc le mot clé.

Proposition 2 : la conscience de soi, qui est à la fois l’agent et le garant de la positivité de l’ego

Elle permet les phénomènes suivants :
  • La reconnaissance de ses limites et la valorisation de la complémentarité vs. compétition. L’entrepreneur doit pouvoir recruter des gens plus forts que lui, et faire grandir ses collaborateurs sans se sentir fragilisé.
  • Les gains sont pensés à long terme : ce qui donne le sens de l'engagement et de l’alliance stratégique (cf. le problème des bonus des traders dans les banques). L’entrepreneur est temporalisé, il inscrit son action dans le temps.
  • La capacité à faire des liens, à apprendre de ses erreurs et être son propre coach.
  • L’identification à des mentors (admiration, envie) peut être constructive. La sympathie, les affinités, sont au cœur des processus d’apprentissage (cf. les notes d’un élève qui sont bien meilleures quand il apprécie sont professeur). D’où l’intérêt, à ce niveau là aussi, de vérifier que l’entrepreneur intègre bien des rencontres clés à son récit de vie : c’est un marqueur de l’ouverture de ses processus d’apprentissage. Or c’est crucial : la transformation personnelle est une des composantes fondamentales du phénomène entrepreneurial (l’autre étant la création de valeur). L’entreprise évolue rapidement. L’entrepreneur doit pouvoir accompagner cette évolution par son développement personnel.

Question : comment évaluer le narcissisme positif et la conscience de soi ? Je vous présenterai quelques uns de nos outils lors de la deuxième partie de cet exposé. C'est tout l'intérêt de nos indicateurs. (lire la suite)

vendredi 7 octobre 2011

DARWIN ET L'ENTREPRENEURIAT


Pascal Picq est paléoanthropologue au Collège de France. Il étudie l’évolution du crâne des hominidés, le comportement des grands singes, les théories de l’évolution… Dans son dernier livre Un paloéanthropologue dans l’entreprise (Ed. Eyrolles) il dénonce la « sélection par l’échec » de la culture des grandes écoles et des grands groupes (« de type ingénieur ou lamarckienne » qui se contente d’améliorer les filières existantes) par opposition à la sélection par la prise de risque de la « culture d’essai/erreur de type entrepreneurial au sens de Schumpeter et de Darwin qui fait émerger de nouvelles filières. »

« Pourquoi dire ‘prendre un risque’ quand on se lance dans un projet plutôt que ‘tenter sa chance’ ? En recherche on apprend plus de ses erreurs que des réussites, ce qui renvoie à un autre déficit culturel, celui de l’innovation. » Pourquoi ? « Toutes nos ‘élites’ ont la même vision du monde, ce qui ne favorise ni l’émergence ni le développement de nouvelles filières. D’un point de vue darwinien, ce ne sont pas nos élites qui posent problème, mais l’absence de diversité de nos élites. »

L’auteur apporte, il me semble, des clés importantes : l’élimination du vulnérable, du non conforme rend l’organisation de plus en plus bureaucratique, de moins en moins innovante. Il fait la promotion d'une sorte de néo-darwinisme favorable à la sélection naturelle, certes, mais dans le foisonnement créatif des types. La culture managériale serait donc contre nature ? Concentrer des mâles alpha, des killers, dans son CODIR c’est – contrairement à l’idée reçue - enfreindre la loi de la jungle fondée elle sur une logique de respect vital de l’écosystème et de diversité des espèces. Il est en réalité plus difficile de travailler avec des gens différents de soi, variés, en valorisant la complémentarité plus que la compétition (le concours de virilité), et en humanisant les rapports pour faire de la vulnérabilité de chacun un atout pour le groupe : c’est là où la personne est atypique qu’elle est une ressource pour l’organisation. Un sujet qui ne peut que faire grandir nos leaders d’entreprises !
 

mardi 7 juin 2011

MANIFESTE POUR L’ENTREPRENEUR ATYPIQUE


Manifeste lu au Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprises (CJD) le 19 novembre 2010 lors de la 5ème session du séminaire Capital-investisseurs de Finance for Entrepreneurs.

Selon Amartya Sen, prix Nobel indien d’économie, le niveau d’évolution humaine d’une société se mesure à la liberté réelle qu’ont ses membres à être ou à faire ce qu’ils désirent. En d’autres termes, le niveau de développement d’une société peut se mesurer à sa capacité à générer des individus atypiques. Amartya Sen articule donc brillamment le paradoxe d’un système social favorable à ceux qui s’affranchissent de la norme banalisante des groupes pour vivre leur atypicité et s’engager fermement dans un processus d’évolution individuelle.
L’enjeu est au coeur de nombreuses traditions. Les porteurs de projets du Management Institute of Paris (MIP) que nous soutenons connaissent bien cette citation qui est la devise de leur école : « deviens qui tu es, fais ce que toi seul peut faire ». Ainsi parlait Zarathoustra, le prophète perse du conte de Nietzche. Selon Martin Buber, philosophe de la tradition hassidique, « avec chaque homme vient au monde quelque chose de nouveau qui n'a pas encore existé, quelque chose d'initial et d'unique. Ainsi devons-nous, chacun selon sa manière propre, établir (…) un service nouveau et faire non pas ce qui a été fait, mais ce qui est à faire. » (Le Chemin de l’homme) La mythologie donne des indices à l’aventurier de l’entreprise de soi. Sa pédagogie de vie universelle utilise un modèle : le héros, ou l’héroïne, dont la trajectoire démarre par la remise en cause du statu quo, le parcours solitaire, et se termine, après les aventures initiatiques, par le service rendu aux siens, donc par la loyauté.
Aujourd’hui, les neurosciences confirment l’intérêt de l’atypicité du point de vue biologique : seul un être individuellement en mouvement se procure des sensations et ainsi s’informe sur son environnement et sur les effets de son action. C’est donc par son mouvement personnel - sa prise de risque -, que l’individu a accès à de l’information et des apprentissages. De plus, comme notre fonctionnement cognitif hiérarchise nos perceptions (il nous ouvre des horizons et en ferme d’autres) nous façonnons le monde dans lequel nous vivons. Inconsciemment nous structurons en bonne partie notre réalité. D’où l’adage « ton attitude détermine ta réalité » ou encore « souris à la vie et la vie te sourira ». Nous comprenons alors pourquoi l’entrepreneur est plus performant s’il est libre d’agir, de tester, d’avancer par tâtonnement, de bricoler du provisoire en renouvellement permanent, s’il est libre aussi à l’égard du pouvoir normatif des groupes sociaux, donc s’il est atypique.
Comment alors faire « passer à l’échelle » une trajectoire individuelle ? Comment passer de l’entreprise de soi à cette créativité collective qu’est l’aventure entrepreneuriale ? Car pour réussir l’entrepreneur doit aussi avoir l’envie et les moyens de devenir un leader social, autrement dit un créateur de culture au sens de création de représentations de soi et du monde, et des valeurs, des comportements qui en découlent. Selon Yves Michel, le créatif culturel dépasse les « raisonnements déterministes pour rechercher d'autres moteurs de production et de développement ». A sa mesure, par son savoir-être et son action il redonne « à l'humanité une nouvelle marge de liberté et ouvre l'éventail de ses choix dans la construction de son avenir » (Les créatifs culturels en France). Comment l’entrepreneur atypique réalise-t-il en lui un pôle d’assemblage innovant du réel ? Comment crée-t-il un monde hospitalier, dynamique et sensé pour lui et pour ceux qui l’accompagnent ?
Le rapport au jeu est la clé. Selon le Winnicott « jouer, c'est une expérience, une forme fondamentale de la vie. » « C'est en jouant, et seulement en jouant, que l'individu est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière. » C’est quand il est un petit enfant que l’individu initie cette stratégie de vie. Quand sa mère frustre sa toute-puissance de nourrisson par son absence, il utilise son doudou comme première espace de transition et de jeu ! Selon Winnicott, « Toute personne adulte conserve la faculté de jouer au sein d’un espace intermédiaire. C'est une aire neutre d'expérience située entre elle et la réalité. L'acceptation de la réalité est une tâche sans fin que ces aires intermédiaires [les arts, les sciences, etc.] peuvent soulager. » Elles se situent « en ce lieu où [des espaces] de jeux se chevauchent (…). » « Qu’est-ce que la culture sinon plusieurs personnes « en train de jouer ensemble ? » » « Jouer conduit à établir des relations de groupe. » (Jeu et réalité)
Malheureusement, les groupes humains disposent d’un outil puissant de dramatisation qui tend à nous faire perdre le rapport au jeu. Un outil de dissuasion, de rétorsion ou d’exclusion des candidats à l’atypicité. Plus que la peur, la honte nous assaille lorsque nous  relâchons le lien à notre groupe de référence et lorsque nous nous rapprochons d’un nouveau groupe social. La honte est un outil de rigidification sociale, et une incitation à ce que chacun reste à sa place dans sa case, dans son type. Ce sentiment est certes un facteur d’intégration et d’ancrage car il est bon de jouir d’une place bonne et limitée là où l’on est : la honte sanctionne utilement les restes toujours vivaces de notre toute-puissance infantile et nous aiguillonne pour plus d’intégration sociale. Pourtant le résultat est trop souvent déplorable : l’individu s’adapte, perd son originalité et sa créativité, et devient complice de la logique à la fois enfermante et excluante du groupe…
Alors, nous pouvons nous tourner vers les plus fragiles d’entre nous et apprendre d’eux. L’entrepreneur porteur d’un véritable handicap, physique ou social, est atypique malgré lui. Il sait viscéralement, selon Alexandre Jollien, que « suspendre la lutte, c'est risquer la chute. » (Le métier d’homme) Le jeune philosophe, qui a fait de son handicap un bienfait, considère que « les échecs créent des êtres sans cesse aux aguets. » « Pour qui se risque à renoncer aux illusions, la précarité même de la vie « risque » de devenir alors une source. » « Chaque minute portant l'empreinte secrète du tragique, de la mort toute proche, il conviendra de l'habiter, d'y placer force et joie. Loin de terrasser, ce constat convie à une légèreté. Aucune naïveté, nulle insouciance dans cet état d'esprit pétri de profondeur. La légèreté fournit à l'apprenti du métier d'homme un outil bien précieux, une force inédite capable de dynamiter le monde. » Et pour l’auteur, « rencontrer devient dès lors l'occasion de façonner les outils pour forger une individualité », « l'homme ne se construit que dans la présence de l'autre. »
Finance for Entrepreneurs valorise donc les entrepreneurs atypiques. Nous faisons la promotion de la créativité, de l'épaisseur humaine et de trajectoires de vie intenses et singulières qui ne rentrent pas dans les cases mais donnent du sens à l'action. Comme dit Maud Louvrier-Clerc, responsable de la recherche, « l'atypique qui reconnaît son handicap - visible ou invisible - fait de sa manière de penser de façon « extra-ordinaire » un atout. Il crée un nouvel espace des possibles. »
Matthieu Langeard

mardi 31 mai 2011

Quels sont les déterminants d’une relation investisseur-entrepreneur réussie ?


Comment créer une véritable synergie entre ce détenteur d’énergie et ce porteur de vision créative ? Selon Patrice BRASSEUR(1), maitre de conférences sur l’humanité créatrice, l’argent est un puissant agent d’information(2) qui canalise le temps, la conscience, l’énergie de l’être humain, et donc son intention et son intelligence créative. Plus qu’un simple outil de rémunération du temps de travail, c’est avant tout un système de promotion, d’incitation, de motivation des communautés humaines vers un objectif commun d’épanouissement personnel et collectif.
L’argent est donc un moyen de valorisation des richesses de l’être humain dans sa relation à la société et à la planète. L’argent étant un activateur du potentiel infini de chaque porteur de projet, nous pourrions ainsi résumer la relation entre l'investisseur(3) et l’entrepreneur : chacun possède une ressource, le premier est l’énergie et le second la vision créatrice, et c’est uniquement lorsque ces deux ingrédients se rencontrent que le rêve devient réalité, que l’utopie, en tant qu’espoir de civilisation, se concrétise. 
Pour une bonne synergie entre ces deux ressources et leurs possesseurs, il faut une subtile interdépendance dans la relation humaine. Pourtant les trois types de financement que sont la donation, le crédit ou l’investissement ont chacune d’entre elles des modalités différentes. Dans la suite de cet article, nous nous attarderons sur l’investissement, bien que les deux autres soient tout aussi intéressants(4).
L’investisseur est souvent perçu comme un actionnaire dont le seul intérêt est le fameux retour sur investissement. Pour arriver à cet objectif du profit l’investisseur n’hésitera pas à recruter - en support à l’entrepreneur visionnaire - un manager efficace pour baisser les coûts, monter les prix, et ainsi augmenter la marge et donc la valorisation de l’entreprise.
A chaque tour d’investissement, la part du fondateur est réduite, mais peu importe me diriez-vous, il vaut mieux avoir une petite part d’un gros gâteau, qu’une grosse part d’un petit gâteau. Ainsi l’entrepreneur deviendra à son tour investisseur grâce à l’argent récupéré lors de la revente de ses parts. Cependant la motivation de l’entrepreneur est-elle la même que celle de l’investisseur ? Est-il prêt à perdre le contrôle de son projet ? Et l’investisseur, est-il uniquement attiré par la seule rentabilité d’un projet ?  
Quels sont les déterminants d’une relation entrepreneur-investisseur réussie ? Pour analyser ceci, plongeons-nous dans la relation humaine, dans l’équilibre délicat entre don et contre-don. Comme nous l’exprime justement Marcel MAUSS(5), les sociétés primitives n’étaient pas basées sur le contrat ou l’échange mais sur le triptyque du don : donner – recevoir – rendre, lui-même basé sur une articulation contradictoire entre intérêt personnel et coopération, égocentricité et altérité, liberté et contrainte. 
Ainsi pour créer une relation vraie, pour neutraliser le chantage affectif(6) dans la relation humaine entre entrepreneur et investisseur(7), il est indispensable de réunir ces trois aspects :
1- Conscientiser ce que chacun donne, reçoit et rend,
2- Dépasser les rapports de dépendance et de pouvoir(8),
3- Rechercher l’interdépendance impliquant responsabilités et engagements.
Concernant le premier point, quelle est la contribution à attendre de l’entrepreneur et de l’investisseur ? Voici une piste de réflexion :

Entrepreneur
Investisseur
Donne
Reçoit
Donne
Reçoit
Vision – Idée
Support Financier
Argent - Energie
Profit
Temps
Soutien - Confiance
Contact - Réseau
Participation Décision
Excitation Créative
Crédibilité - Légitimité
Conseil - Temps
Intelligence Créative

À propos du second point, comment ne pas sombrer dans la dépendance et la domination ? Pour cela, l’innovation dans le domaine de la gouvernance, tel que l’holacracy, nous donne des pistes pour les prises de décision par consensus ou consentement prenant en compte les objections des parties prenantes du processus stratégique. Car comme nous le savons tous, le détenteur de l’argent possède le pouvoir de décision quant à l’orientation structurelle de notre société. La notion de démocratie quant à sa propriété et son utilisation est en perpétuelle redéfinition dans l’histoire de nos civilisations.
Pour le troisième point, quelles modalités favorables dans le pacte d’actionnaire pour favoriser l’interdépendance ? La vision court terme imposée par le retour sur investissement déraisonnable est en opposition avec la vision long terme (consciente ou non) de l'entrepreneur. Une meilleure adéquation entre le retour sur investissement demandé, tant d’un point de vue quantitatif que temporel, et la vision partagée par l’investisseur et l’entrepreneur permettrait une plus grande efficience du projet. Entre les investisseurs qui n’interviennent que sur la demande de l’entrepreneur et les statuts de social business no profit no loss – qui rémunère l’actionnaire à hauteur du taux d’inflation et réinvestit le reste pour l’amélioration ou la réplication du modèle, de nombreuses pistes sont à explorer.
En période d’opportunité et de transformation comme celle que nous traversons actuellement, l’innovation et l’évolution dans la relation entre les détenteurs d’argent et les porteurs de vision créative est indispensable pour rendre plus neutre et remplir de conscience cet argent « qui n’a pas d’odeur ». Et n’oublions surtout pas que les modalités intrinsèques de nos moyens d’échange orientent tout autant nos comportements et nos relations, et qu’il est toujours possible de les transformer pour en faire de véritable activateur de richesses…


Christophe PLACE et Matthieu LANGEARD

Un grand merci à Cyril BERTRAND et Keyvan NILFOROUSHAN pour leur relecture avisée.

(1) La guérison planétaire par l'économie : http://www.psychosophie.com/conferences/2008/12-decembre_2008
(2) Agent de confiance universellement reconnu par tous et imposé par la loi et la taxation.
(3) Qu’il soit investisseur, préteur, ou donateur.
(4) En effet, Le don n’impose en théorie aucune modalité quant à l’utilisation de cet argent, dans la pratique, la défiscalisation, le retour sur image, et l’évaluation de l’impact sont devenu primordiaux. Le crédit impose une modalité stricte dans le temps du remboursement intégral de l’argent prêté ainsi que son taux d’intérêt sans aucun impact au système de prise de décision du créditeur, limitant ainsi le risque de perte de cet argent. L’investissement propose une participation plus ou moins grande à la prise de décision du receveur avec le risque de perdre cet argent en cas de faillite de l’entreprise.
(5) MAUSS Marcel. Essai sur le don. L’Année sociologique, Paris, 1924.
(6) Le chantage affectif est une manœuvre destinée à profiter des faiblesses ou de la sensibilité. Cela consiste habituellement à inspirer à cette personne un sentiment de culpabilité et/ou de responsabilité morale. Le chantage peut provenir de la jalousie, de la dépendance excessive, ou du désir d'obtenir plus d'attention ou de modifier le comportement de la personne victime de ce type de chantage. Le chantage c'est aussi une façon d'obtenir de l'argent ou autre chose de la part de quelqu'un.
(7) Nous pourrions d’ailleurs résumer cette relation comme la rencontre entre la ressource inexploitée qu’est l’énergie socialement reconnue par tous de l’investisseur, l’argent, et le besoin inassouvi de l’entrepreneur de parcourir son chemin de héros, le projet.
(8) Impliquant le fantasme du dominant et l’angoisse du dominé.

mercredi 25 mai 2011

La puissance de l'entrepreneur-fondateur

Dans mon activité de coach je me retrouve souvent à travailler avec les entrepreneurs-fondateurs sur leur culpabilité d'être trop directifs avec leur équipe.

C'est bon signe vous me direz (ils ont une conscience) mais je ne soupçonnais pas l'ampleur du chantier (auquel je suis moi-même confronté en partie pour l'animation de FFE) : comment être directif, car porteur de la vision et des valeurs du projet, tout en étant collaboratif ?

Le fait est qu'être leader sur un projet, c'est devoir être en contact avec sa propre puissance : certes animer mais aussi affirmer sa vision, impulser un tempo, recadrer, faire des choix, laisser partir des personnes qui ne seraient pas assez alignées avec le projet, etc.

Or pour certains, être puissant, c'est flippant. Les raisons sont multiples mais j'en vois une en particulier : l'entrepreneur-fondateur ne peut compter que sur lui-même pour s'autoriser à être dans sa puissance.

C'est une responsabilité que lui-seul peut prendre. Or exercer sa puissance dans un groupe, cela ne peut pas plaire à tout le monde, provoque forcément des incidents et nécessite des ajustements. Ce qui naturellement lui met parfois le doute. Ceci n'est pas un programme de rééducation à la tyrannie... mais bien un questionnement sur le fait que la solitude de l'entrepreneur-fondateur est bien pire qu'on le dit : il doit prendre seul la responsabilité de sa légitimité. S'il fait porter cette responsabilité à quelqu'un d'autre que lui, c'est cuit.

Entreprendre Autrement

1- Nous valorisons les entrepreneurs atypiques et non les purs produits de la culture managériale des grandes écoles et des grands groupes. Nous valorisons l'épaisseur humaine et les trajectoires de vie intenses et singulières qui ne rentrent pas dans les cases mais donnent du sens à l'action.

2- Nous constatons que nos handicaps visibles ou invisibles sont des sources potentielles d'innovation : l'entrepreneuriat, l'innovation, c'est transformer le poison en élixir. Charles Gardou (Lyon 2) parle dans son livre de ce photographe de Thonon-les-Bains qui, victime d'une maladie l'obligeant à vivre dans le noir, créé "un ingénieux appareil de guidage et de détection d'objets, avec gamme sonore pour les prises de vues", etc. qui lui permet "d'écouter la lumière" et de continuer à travailler. (Fragments sur le handicap et la vulnérabilité, pour une révolution de la pensée et de l'action)

3- Nous avons la conviction qu'un accompagnement adapté peut leur permettre à ce type de situation de "passer à l'échelle" dans une logique entrepreneuriale. Nous proposons donc la création d'un incubateur dédié à l'accompagnement de porteurs de projets ayant un handicap et surtout à la centralisation de solutions, trucs et astuces duplicables selon le type de handicap : Entreprendre Autrement est une démarche concrète. Cet incubateur, sorte de chien-guide d'aveugle pour entrepreneurs, concernerait l'axe de la formation continue de la Chaire Handicap de Lyon 2.

4- Nous proposons de décloisonner les notions limitantes de personnes handicapées et de personnes valides grâce aux notions de handicaps visibles et de handicaps invisibles. L'idée est de créer du lien - tous fragiles, tous humains. Les organisation ont beaucoup à apprendre de l'intégration dans leurs effectifs, à tous les niveaux hiérarchiques, de personnes ayant un handicap visible. La culture managériale est crispée sur l'excellence de l'expertise et la rapidité de "l'exécution" (sic). Or si être un manager c'est être la locomotive qui tire les wagons, la grande question est bien d'arriver à destination ensemble, avec tous les wagons... Or une personne ayant un handicap visible met à l'aise tout le monde pour communiquer sur ses handicaps invisibles (maladies, troubles de l'apprentissage, sociopathies, chronopathies,...). L'humain est alors remis au centre du système, pour une performance globale... et durable.

Le comité Entreprendre Autrement de FFE,

Matthieu Langeard (Human Equity), Jérôme Adam (JenCroisPasMesYeux.com), Paul Wachten (Awarness), Keyvan Nilforoushan (Quadrivium), Stéphane Roder (MisterRecycle)

lundi 23 mai 2011

Chronopathie



 Domination du court terme,

effacement de l’avenir comme promesse,

aspiration infantile au tout-tout-de-suite,…

Jour après jour, il nous faut « gagner » du temps, donc perdre notre vie.

Pourtant la durée apaisée est constitutive de la vie heureuse.

Son effacement au profit de l’immédiateté,

de l’accélération annule jusqu’au sens des actes et au goût des choses.

Il existe un lien direct entre cette « maladie du temps »

et la « maladie de l’argent » : l'argent à court terme,

sans la vision industrielle et la juste rétribution du travail.

La boulimie fébrile est-elle la règle ?

> Comment créer un temps

qui corresponde aux besoins minimaux de la vie humaine ?

La vraie vie est l’enjeu.

(d’après Jean-Claude Guillebaud sur « le temps compacté », La Vie)


L'idée est de remettre l'humain (et ses rythmes) au coeur du système.

Les partisans de la culture managériale (vs. entrepreneuriale)

mettent le résultat financier au centre du système.

Ils critiquent cette vision humaniste mais en ont autant envie que peur.

C’est un lieu de grande fragilité pour eux,

lieu d’incohérence, d’inadéquation et d’ambivalence.

La solution est une pédagogie calme et de la... patience :

je ne peux pas chercher à convaincre

mais affirmer ce que je crois, quand c’est possible.

Je sais ce que je sens.

Je peux donc faire confiance en ce que je crois :

> L'innovation, le développement des personnes

et l'intelligence collaborative créés durablement de la richesse.

dimanche 15 mai 2011

Quand les balles rebondissent...

Nos amis nous aident parfois à faire de surprenantes découvertes...L'une d'entre elles m'a fait découvrir HAPPY LAB, une association dont le slogan est "libérer le bonheur"... Incroyable non ?


Le plus incroyable est comment leur site internet donne le sourire...



De fil en aiguille, me voilà devant le défi de « ne pas râler pendant 21 jours », recommandation de Christine Lewicki, auteur de “J’Arrête de Râler!”, Editions Eyrolles 2011 ; le conseil de Philippe Gabilliet d’être, en temps difficiles, un optimiste de but et un pessimiste de chemin … "cela va être difficile, mais nous allons y arriver"... Conseil avisé pour un jeune entrepreneur, n'est-il pas ?



Que d’oxygène ! Aller voir et respirer !



http://www.happylab.fr/



Tutorial de Philippe Gabilliet sur l’optimisme



Après un petit rappel des propos sur le bonheur de Alain le pessimisme est d’humeur, là où l’optimisme est de volonté »… Philippe nous donne une piste pour être optimiste en temps difficile… avoir une posture de vigilance : être un optimiste de but et un pessimiste de chemin…. Vous êtes perdus, regarder la vidéo !


http://www.dailymotion.com/video/xc2o75_interview-phillipe-gabilliet-l-opti_news

vendredi 29 avril 2011

Porteur de projet 2.0


(Aux étudiants entreprenants rencontrés cette semaine à Jussieu à l’initiative de LA MANU)

Nous qui voulons tellement avoir une place dans un système qui pourtant ne nous convient pas : "un système qui met l'argent au centre, et pas l’humain".
Nous qui voulons tellement changer le monde et en même temps tellement nous y adapter.
> La clé est peut-être de renoncer au pouvoir que nous n'avons pas. 
Prenons toute notre place et juste notre place.
Ajustons-nous mais ne nous adaptons pas.
Restons cool. Ne restons pas seul.
Avançons groupé et prenons le temps.

samedi 9 avril 2011

Les faux sages : ces anciens qui n’écoutent plus.

Depuis que je suis petit, j’ai appris à me taire quand plus ancien que moi parlait.



Fort peu sûr de moi, je lâchais prise sur mes maigres certitudes quand d’autorité on me les démontait.



A juste titre la plupart du temps.



Mais parfois ma candeur heurtée trouvait un réconfort tardif dans la résurgence, éternelle et incorruptible, du réel : l’ancien avait berné la vision neuve, bouleversante, vraie, créative, que je lui avait soumise ; la reconnaître, c’était pour lui remettre trop de choses en cause dans les étagères entassées de sa vie, et surtout ébranler l’unique atout sur lequel il avait, de paresse en compromis, regroupé son expertise : l’ancienneté.



Toutefois je n’avais pas encore rencontré ces anciens vrais, qui illuminent votre vie comme un sourire tire les rides en étoile d’un vieillard poli par le temps. Ceux-là écoutent, comme au premier jour, avec les oreilles de l’esprit et du cœur, et la sourdine juste que leur ont donnée les cabossures de l’âge.


Leur écoute est la plus grande leçon qui soit : une immense caisse de résonnance à la taille de leur expérience.



Ils nous invitent à table et la maigre viande que nous rapportons de la chasse trouve chez eux la sauce et les arômes, les condiments et les légumes, la musique et le décor.



Notre vision existe par la perspective, le recul, le dépouillement qu’ils lui donnent.



Et notre pauvre et fier gibier fait en se mélangeant à tant de bonnes choses une sauce puissante, savoureuse et de bon aloi.





J’ai récemment contacté un fonds pour lui proposer mes services dans le discernement qu’un parcours atypique m’a appris à pouvoir porter sur le choix et l’articulation des personnes en entreprise. Pleine de bonne volonté, la gérante, qui croit que la gestion humaine est une science occulte, m’envoie voir ses deux meilleurs conseils pour qu’ils valident ma sorcellerie… Le premier m’appelle, refuse de me voir pour cause de temps, me pose trois questions, conclut en disant que ce que lui ai dit est limpide et me taille illico un short à dix-huit poches auprès de la gérante. Le second, sur mon insistance et celle de la gérante, me reçoit.



C’est un grand sorcier car il est à la fois chef de deux entreprises, serial entrepreneur et coach d’entrepreneurs. Son entreprise est magique car elle n’a pas besoin de talents extérieurs : dès qu’elle a un besoin elle l’intègre à 100% dans l’entreprise. Il a enfin des pouvoirs magiques car en trois minutes de conversation il m’avait déjà dit que j’ « ouvrais trop ma gueule », que « je manquais d’humilité » et que j’étais « manipulateur ». J’avais tout faut parce que j’avais utilisé des mots interdits : « méthode » et « postulat ». Quand j’ai parlé de ma méthode mes observations il a pris avec avidité des notes sur mon vocabulaire. Et quand j’ai voulu lui montrer des cas concrets voire lui faire une démonstration il a balayé ma proposition d’un revers de la main. Il avait mieux à faire : profiter de ma visite pour me coacher et me dire que ma vocation était d’être responsable commercial.



Comme c’était un grand sorcier j’ai accusé le coup, d’autant qu’au lancement d’une entreprise on est jamais aussi peu sûr de soi. Et puis le temps et les clins d’œil du Ciel ont fait leur office.



Extraits du feed-back que je lui ai envoyé sur notre épique entretien :




Bonsoir Monsieur,



Je vous remercie encore du temps que vous m'avez accordé, de la "correction fraternelle" qui fait toujours du bien... et des pistes de réflexion que vous m'avez soumises.



La déstabilisation dans laquelle vous m'avez laissé vous aura montré que je ne suis finalement pas tant que ça un homme de certitudes ;-)...



[...]



Je suis conscient de ce que j'ai des choses à apaiser, des limites à trouver, un besoin d'être compris de l'extérieur, mais ne suis-je pas en mesure d'aider avec pertinence parce que précisément j'ai précédé les gens dans leurs souffrances, leurs interrogations, leurs blocages? Qui peut dire qu'il a réglé tous ses problèmes avant de se lancer?



[...]



Je suis frustré de ne pas pu vous en montrer davantage, car, comme Tipiak "tout est dans la recette" et pour s'en apercevoir il faut gouter...



Maintenant, comme je suis insolent, je dois vous livrer ces réflexions:



- j'emprunte à la méthode militaire le souci de coller au terrain au détriment de toute méthode fermée : ceci est une innovation, comme s'imposa, par sauts qualitatifs brusques, un mode de raisonnement tactique dissuadant les chefs de vouloir recommencer dans un mimétisme figé les mêmes batailles, fussent-elles nombreuses.



- l'armée a toujours privilégié l'amalgame, i.e. le mélange d'officiers jeunes et d'officiers issus du rang au sein des unités combattantes; pas tant pour former les jeunes officiers (c'est le boulot du capitaine), que selon la conviction qu'il faut toujours apporter à la vieille pratique experte la vision neuve, inouïe, sans marque ni conditionnement des jeunes chefs;



- peut-on être en même temps chef d'entreprise et coach? Le premier est l'homme de la subsidiarité, l'autre du contrôle, le premier transmet une tâche sans faire d'entrisme dans l'exécution, le second a vue sur tout ses tenants, le premier est public, le second est secret, le premier est collectif, le second exclusif,... En intégrant tous vos acteurs en interne, là où le partenariat permet de s'enrichir continuement, il me semble ... que vous agissez en coach et non en chef d'entreprise. Un acteur du RH dépérit à être enfermé dans une structure unique. J'ai eu le sentiment de passer un test d'élimination et non une rencontre de partage et d'échange. Et pourtant Dieu sait si certains grands et éminents anciens ont eu la patience de le faire avec un jeune blanc bec comme moi; c'est leur écoute qui m'a propulsé, le dernier en date étant Jacques WEBER, pas plus tard que jeudi soir.



Alors je vous propose encore, parce que je suis convaincu de sa valeur ajoutée et non pour une victoire commerciale de plus... de passer mon test!



Je vous souhaite une très bonne soirée.



Bien cordialement,



François BERT
















jeudi 7 avril 2011

The Entrepreneurial Leadership : a selfImprovement story?

Rarely can entrepreneurs make a company succeed by themselves. This is much like the fact that greatest athlete doesn’t make sure that their team will win when the other players cannot perform. As a result, entrepreneurs need to be in a position to identify staffing needs, expertly fill them, and lead they to success.

Leadership is the process through which an entrepreneur is able to influence employees to achieve the objectives of the organization. To be an effective leader, an entrepreneur must:
1) build trust and confidence among employees and
2) effectively communicate with them.

Leaders can build trust in many ways. They can achieve it by working hard, maintaining a constant message and/or being available to solve employees’ problems among others. By showing employees that they are fully committed to achieving the vision, entrepreneurial leaders build trust and confidence in employees. This in turn yields high employee satisfaction and commitment.

Effective communications is equally critical to successful leadership. If employees are unclear about the company’s vision, and/or receive mixed messages over time, they will be unable to focus all of their efforts on achieving the company’s goals. Conversely, by delineating the company’s vision and goals, and reinforcing them over time with the same message, the company’s goals become engrained in its employees.

In addition to building trust and effective communications, other keys to entrepreneurial leadership include the following:

  • Seeking self-improvement: a great leader always seeks to become even better.
  • Possessing technical skills: While the leader may not need to have the greatest technical skills in their organizations, they need to be savvy enough to lead the team.
  • Accepting responsibility for actions: Leaders and companies always make mistakes. Great leaders don’t place blame on others.
  • Making decisions: Good leaders must make good and timely decisions.
  • Being a role model: A leader must set an example to employees and guide them to excel.

The ability to effectively lead is a crucial factor in the success, or lack thereof, in entrepreneurial ventures. By understanding and embodying what it takes to lead effectively, entrepreneurs can maximize their chances of success.

mercredi 6 avril 2011

L'inconscient du Capital-investissement

Rencontre du directeur général d'un fonds de capital-risque. Cet homme, très actif à l’Afic, me raconte qu’il a souvent un rôle de « médecin de famille » auprès des managers de son portefeuille. On se connaît un peu et ce jour-là il m’explique pourquoi on ne travaillera pas ensemble : «  Vous n’êtes pas assez saignant dans vos audits de dirigeants. » Et oui... mon approche vise à mieux comprendre pour mieux accompagner, pas à blesser...

Un directeur de McKinsey (le clergé de l’excellence managériale) me reçoit dans son bureau sur les Champs-Elysées. Il soutient le financement de l’entrepreneuriat social en France. A la fin de la discussion il me dit : « Belle approche pour du coaching d’entrepreneurs mais je ne mettrais pas un euro dans un fonds géré selon vos conceptions. Il y a toujours un moment où le financier doit planter un couteau dans le dos du dirigeant ! »

Je sors étourdi et me retrouve sur la plus belle avenue du monde avec un double sentiment : un grand moment de solitude... et la sensation d’être sur un boulevard. Le fameux « océan bleu » de l’innovateur ? (Dans le livre, l’océan rouge est celui des marchés hyperconcurrentiels où les requins se battent le bout de viande. Brrr.)

Je raconte la première histoire à l’une de mes partenaires professionnelles, Maggie. Elle écoute attentivement et me demande : "qu'est-ce qu'il a voulu dire par "saignant" ?! Va le voir, pose-lui la question, prends le temps de l’écouter". Effectivement, comment avancer avec des gens porteurs de telles contradictions ? En leur faisant expliciter. J'aurais ainsi pu faire découvrir à mon interlocuteur que mon niveau d'exigence vis-à-vis des entrepreneurs est sans commune mesure avec ses jugements à l’emporte-pièce. Les amener à mettre des mots et communiquer sur leurs forces-fragilités entrepreneuriales est autrement confrontant.

Naturellement la même inconscience se retrouve chez les chefs d’entreprises. 

Ils sont les premiers à dire que les financiers ne s’intéressent qu’aux chiffres, « qu'ils ne veulent rien dire »... et les derniers à demander de l’aide quand ils se sentent perdus. Lors d’une crise confiance avec le fonds-actionnaire, leur capacité de remise en cause personnelle est souvent proche de celle d’une bernique. Régulièrement « levée de fonds » rime avec « prends l’oseille et tire-toi ».

En matière de responsabilité sociale du private equity tout reste donc à faire. Le changement doit porter sur la qualité de la relation : la façon de faire le capital-investissement. Cette finance socialement responsable dans ses pratiques est plus exigeante pour les équipes : elle demande à ces spécialistes du financement de l’innovation... d’innover dans leurs process... « L’humain fait l’essentiel de la réussite d’un projet » ? soit ! Quelles expertises mettez-vous sur le sujet ? Comment vous formez-vous ?

La bonne idée ? L’ouverture de la filière à de nouveaux intervenants complémentaires...

...et la coopération entre fonds qui interviennent aux stades successifs de développement des entreprises.

# Des conseils en levée de fonds : ces experts aident les entrepreneurs à structurer leur projet. (On ne comprend généralement pas ce qu’ils veulent faire et comment ils comptent s’y prendre.)

# Des rédacteurs : qui êtes-vous ? comment le dîtes-vous ?... Simple mais rarement fait.

# Des conseils en gouvernance (qui fait quoi ?) et en analyse des opérations de haut de bilan : quelles sont toutes les implications de la transaction pour toutes les parties prenantes ?...

# Des conseils en stratégie 2.0 : les recommandations viennent d’un travail animé au sein de l’entreprise.

# Des managers seniors (actionnaires impliqués qui apportent un peu de capitaux et beaucoup de compétences) et de managers de transition sensibilisés à la dimension humaine de leur fonction.

# Des administrateurs indépendants : pour calmer le jeu quand les board s’enflamment...

# Des formateurs à l’écoute active et à la finance comportementale (biais cognitifs dans les processus de décisions) : pour les équipes d’investissement.

# Des formateurs au langage des investisseurs : apprendre à parler de soi dans un langage constructif et compréhensible par un financier.

# Des audits des dirigeants avant investissement : cartografier leurs qualités pour que les fonds aient un meilleur accès à l’humain (acquisition d’un langage et de repères), et se décident en connaissance de cause. Autrement dit, promouvoir les vrais entrepreneurs, atypiques (et un peu caractériels) par définition, auprès d’équipes d’investissement normatives.

# Des coachs pour un suivi complémentaire des participations, une meilleure anticipation des crises de confiance et du teambuilding : « comment veux-tu être en relation avec un fonds si tu n’est pas fichu de te trouver des associés complémentaires et d’être en relation avec eux ? »

# Des partenariats verticaux entre fonds pour l’accompagnement successif des entrepreneurs en fonction du stade de développement de la société.

Soit une communauté enfin diversifiée et complémentaire, favorable aux regards croisés, à l’échange et à la coopération (un écosystème).

Les pré-requis pour que cela fonctionne ?

Des méthodologies simples, à l’utilité évidente pour les parties prenantes, véritablement adaptées au contexte de l’entrepreneur (no bullshit). Des barèmes qui adaptent le tarif des prestations à la taille des entreprises (no racket). Des intervenants polyglottes, ayant la maitrise de plusieurs langues professionnelles : un assemblage artisanal d’hommes et de femmes « traits d’union », curieux les uns des autres.

Ainsi pourra changer le capital-investissement. Ce gigantesque bureau des pleurs où les entrepreneurs se plaignent de la pénurie d’argent, et les investisseurs de l’absence de « bons dossiers ». Cet énorme paquet de testostérone et d’idées reçues aglomérées. Ce summum d’inefficacité globale (sociétale). Cette machine à décevoir les forces vives de notre pays. Ce facteur majeur de dévitalisation de notre économie.

Certes, plus inconscient que méchant.

dimanche 3 avril 2011

L’autodidaxie... l'innovation et l'entrepreneur

Lors de ma recherche documentaire préliminaire à notre dernier séminaire sur le profil ATYPIQUE de l'entrepreneur, je suis tombée sur une pépite ... je vous livre la fin, pour vous donner envie de lire le début !


"Le processus créateur s’appuie volontiers sur des idées, des savoirs, des « trouvailles » « bricolés ». Il s’appuie aussi sur le bricolage entre des formes de savoirs différents : savoirs théoriques et pratiques ; savoirs « savants » et savoirs de la vie ordinaire. L’art du bricolage donne sa pleine mesure dans le goût et la capacité à mettre en relation des formes de savoirs dispersés.

La création va donc souvent de pair avec une disposition à l’exploration autodidactique vagabonde, peu soucieuse des cloisonnements entre types et hiérarchies de savoirs. Le processus créateur appelle même un rapport transgressif au savoir, quand l’exigence d’un projet impose de rompre avec les manières de penser et de faire en usage. Les historiens de l’éducation remarquent d’ailleurs que l’autodidaxie fleurit volontiers aux lisières des savoirs non encore contrôlés. Ce défrichage est souvent le fait de « francs-tireurs » qui prennent plaisir à l’exploration par tâtonnement, au « bidouillage ». Des inventeurs qui n’hésitent pas à manier différentes formes de savoirs et à rompre avec les conformismes culturels, en affichant une pensée « divergente », aventurière, pratiquant le « hors-piste » exploratoire, qui permet de faire de nouvelles mise en relation de savoirs, chaque fois qu’il s’agit de produire de l’inédit.

La pratique du bricolage, « la science du concret » selon la formule de Claude Levi-Strauss, métaphorise particulièrement bien cet art de la pensée « divergente » qui caractérise une autodidaxie en recherche de mises en relation inédites. Le bricoleur n’est-il pas celui qui met en relation des objets hétéroclites pour produire quelque chose de nouveau ? Le bricoleur vit dans un monde d’objets « qui pourront toujours servir » remarque Claude Lévi-Strauss.

Cet engagement des apprentissages informels dans le processus créateur s’inscrit dans une dynamique qui met en jeu une implication très forte des sujets et des qualités d’expertise autodidacte évoquées précédemment.

Les théories classiques de l’apprentissage intègrent peu cette dimension du bricolage qui présuppose une disposition à une certaine souplesse dans l’appréhension des objets explorés. Peut-être parce que ce type de mobilisation alliant créativité et apprentissage peut difficilement s’inscrire dans une programmation."

Conclusion de Hélène Bézille...

Si ce texte vous a touché, je vous propose de lire ce dialogue depuis le début... de ma recherche à un interview croisé sur l'autodidaxie

ENTREPRENEUR ATYPIQUE – RECHERCHE DOCUMENTAIRE

PREALABLE AU SEMINAIRE DU 19 NOVEMBRE 2010

FINANCE FOR ENTREPRENEURS

Entrepreneur atypique …. Qu’est-ce qui caractérise l’entrepreneur atypique ?

Réfléchissons dans un premier temps à la définition….

Qu’est-ce que l’atypicité ? Que veut dire atypique ?

Atypique = anormal, irrégulier, aberrant

Atypique = exceptionnel, rare

Atypique = hors normes, inhabituel

Je retiens de ces définitions, 1 idées clé : l’atypique s’affranchit de son cadre, de son milieu, il s’en extrait … la véritable question pour moi devient ainsi :

Comment devenons-nous atypiques ?

Ma première piste de réflexion est ainsi l’autodidaxie …. J’ai commencé des recherches, et suis tombée sur cette pépite, un dialogue passionnant que je vous laisse découvrir ou redécouvrir suite à nos discussions d’hier soir ….

Bonne lecture à tous, Maud

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BEZILLE, H.,“L’autodidaxie : représentations, imaginaire et rapports sociaux”, Le journal des psychologues, n°227, mai 2005, pp.63-69.

Claude Tapia

Dans un ouvrage récent, vous avez abordé à peu près tous les thèmes qui tournent autour de la notion d’autodidaxie: “Mon projet, écrivez-vous, est de contribuer à éclairer, à rendre plus lisible cette face cachée de la formation”. Pouvez-vous déjà définir à grands traits ce qu’est l’autodidaxie?

Réponse Hélène Bezille

Le terme désigne littéralement l’action qui consiste à s’instruire sans maître. Cette définition appelle quelques remarques : en premier lieu, elle fait référence à la forme scolaire d’acquisition de savoirs. Mais cette forme n’est pas la seule. D’autres formes sociales d’acquisition de savoir existent, mais toutes n’ont pas la visibilité ni la légitimité de la forme scolaire. En second lieu, s’instruire sans maître d’école ne signifie pas s’instruire seul, sans guide, sans repère. Cette définition nous renvoie en fait à la figure de l’autodidacte du XIXe siècle et contribue à nourrir une vision réductrice de l’autodidaxie. L’analyse de récits de formation nous invite à revisiter nos représentations de l’autodidaxie, en montrant la part importante que joue cette forme d’apprentissage dans nos parcours de formation et la complémentarité qu’elle peut avoir avec des formes plus académiques.

Pour identifier l’autodidaxie, le parti pris de l’ouvrage est de prendre acte de cette diversité des formes d’acquisition de savoir. Un consensus se dessine aujourd’hui pour faire la distinction entre apprentissages formels, non formels et informels. L’autodidaxie désigne dans ce cadre une certaine manière de se former de façon informelle, seul, en groupe ou en réseau, en dehors des institutions éducatives. C’est une façon d’acquérir des savoirs qui n’est pas guidée ni structurée de façon externe par des programmes et n’a pas pour finalité l’acquisition d’un diplôme. C’est une manière de se former aussi bien à travers les ressources de l’expérience et de l’action, que dans le recours à des savoirs déjà constitués. Reste à décrire ce que j’ai appelé les « espace/temps » de l’autodidaxie.

Se développant à côté d’autres formes d’apprentissage (scolaire, formation des adultes, éducation populaire), l’autodidaxie prend de l’importance par rapport à ces autres formes dans les périodes au cours desquelles la société dans son ensemble est soumise à des changements importants, ou quand émergent de nouveaux secteurs d’activités qui ne sont pas encore structurés par des logiques de formations académiques (l’exemple du « bidouillage » informatique des innovateurs du domaine nous est familier). Les travaux des historiens de l’Éducation montrent d’ailleurs que l’autodidaxie peut, dans certaines circonstances socio-historiques, avoir la valeur et la légitimité d’un véritable modèle culturel d’apprentissage.

L’autodidaxie est aussi mobilisée dans toute démarche créatrice, qui appelle la rupture avec l’état des savoirs antérieurs et la mise en relation inédite entre des sphères de savoir éloignées.

Mais l’autodidaxie n’est pas seulement mobilisée dans des circonstances d’exception: des études empiriques, notamment anglo-saxonnes, ont contribué depuis une trentaine d’années à renouveler le regard porté sur l’autodidaxie, en montrant que l’autodidaxie volontaire, orientée vers un projet, bien que peu visible et peu évaluée, est une pratique sociale d’acquisition de savoirs très répandue, que nous utilisons tous à des degrés divers, à certains moments de nos vie, que ce soit dans notre vie de tous les jours, dans le travail, dans les loisirs par exemple. Elles ont également montré que nous pouvons développer une véritable expertise d’auto-apprenant, dont les ressorts sont un certain rapport à l’environnement, au « monde vécu » et un certain rapport au savoir : goût pour la recherche et l’exploration, intuition, tolérance à l’incertitude ; propension à faire des synthèses inattendues entre différents champs de savoirs ; capacité à mettre en réseau des ressources diverses ; développement de capacités « métacognitives », réflexives sur sa propre manière d’apprendre et de se former, ouverture critique et capacité à mettre en question ses propres présupposés. On ne s’étonnera donc pas de la reconnaissance grandissante de la valeur de l’autodidaxie, perçue aujourd’hui comme une ressource précieuse dans un contexte de transformations importantes de la société.

C.T

L’un des points forts de votre recherche est d’avoir montré comment la représentation de l’autodidacte s’est progressivement structurée au cours du 19e et 20e siècle. Votre analyse, appuyée sur un corpus d’écrits littéraires, sociologiques, psychanalytiques, met en évidence les deux faces antithétiques qui constituent cette représentation : celle du self-made-man “entrepreneur de lui-même et de sa réussite sociale” et celle, disqualifiante, de l’exclu de la formation institutionnelle.

Pouvez-vous expliquer comment cette représentation s’est structurée et a dessiné une identité collant au personnage de l’autodidacte ?

Réponse : H.B

C’est au XIXe siècle qu’émerge la figure de l’autodidacte alors que se développe dans le monde ouvrier une autodidaxie « émancipatoire », en réaction aux effets de l’institutionnalisation progressive de la forme scolaire d’acquisition de savoirs (Proudhon voit dans l’école l’instrument de l’aliénation de la classe ouvrière dès lors qu’elle fournit « à des inférieurs juste le degré de savoir que réclame une conscience obéissante ») et aux effets « aliénants » des nouveaux modes d’organisation du travail fondés sur la parcellisation et la routinisation des tâches. Cette autodidaxie émancipatoire a ses grandes figures: des autodidactes, militants ouvriers et écrivains à leurs heures, qui, comme Proudhon, témoigneront des épreuves traversées à l’occasion de cette quête autonome de savoirs. Il n’est pas alors question de « l’autodidacte » mais des autodidactes et cette différence a toute son importance. Ces exemples vont inspirer la littérature de l’époque et, de façon diffuse, constituer une matrice à partir de laquelle va s’élaborer la représentation de l’autodidacte, à travers un processus de « construction social-historique », pour reprendre le terme de Castoriadis : le travail de schématisation consistera notamment à gommer les éléments de contexte, politique et collectif, dans lequel se développe l’autodidaxie, pour promouvoir la figure d’un être solitaire et fantasque, assoiffé de savoirs, dont la quête est entachée de soupçon dès lors qu’il prétend ne pas avoir besoin de l’ordre scolaire.

La figure de l’autodidacte retrouve une certaine actualité dans les années 1960, quand les classes populaires se trouvent engagées dans un processus de promotion sociale, que se développent les mouvements d’éducation populaire, et dans le même temps les théories sociologiques du handicap culturel et de la reproduction sociale.

Dans ce contexte, la connotation négative de la figure va se complexifier et la dimension identitaire du personnage va progressivement constituer le noyau dur de la représentation : à l’image du contestataire, de l’être anti-institutionnel, va s’ajouter l’image de « l’arriviste », du « transfuge » obsédé par sa promotion sociale, mais aussi l’image de la victime du« handicap culturel ».

La représentation « identitaire » de l’autodidacte s’organise ainsi progressivement de façon largement implicite dans un jeu d’opposition et de hiérarchisation entre savoirs légitimes et illégitimes, entre savoirs « savants » et « profanes », entre savoirs d’experts, savoirs professionnels et savoirs amateurs.

A partir des années 1980, la connotation identitaire du personnage s’enrichit encore à l’occasion de l’exploration du « fantasme autodidacte » par René Kaes et Paul-Laurent Assoun. On retiendra ici de ces analyses que le fantasme autodidacte est la chose la mieux partagée mais qu’il se nourrit particulièrement bien dans un certain terreau : une relation archaïque à la mère, une faille du côté de la reconnaissance paternelle induirait un rapport problématique à l’altérité et un certain type de rapport au savoir. Une telle organisation psychique imposerait le passage par l’autoproduction de soi dans un parcours jalonné d’épreuves à l’issue tout à fait incertaine.

La figure du self-made-man propose une facette complémentaire de la mise en scène du sujet engagé dans sa formation dans la société d’aujourd’hui: en contrepoint à la figure disqualifiée de l’autodidacte évoquée précédemment, la figure du self-made-man à l’inverse, nourrit une représentation idéalisante du sujet prenant en charge, au-delà de l’acquisition autonome de savoirs, sa réussite sociale et l’autoproduction de lui-même. Le modèle culturel de référence n’est plus celui du militant socialiste français du XIXe siècle, mais le modèle de l’entrepreneur tel qu’il s’élabore dans le monde anglo-saxon au cours de la même période. La culture valorisée est la culture de l’action, l’espace considéré est celui de l’entreprise. L’accomplissement de la personne et sa réussite sociale ne font qu’un. L’accent n’est pas ici mis sur l’acquisition de savoirs mais sur l’autoformation de l’homme dans l’agir comme le mot l’indique.

Les récits autobiographiques de personnes se définissant sous cette identité remplissent une fonction de conte de fée social. Ils mettent en scène la force créatrice du sujet et sa capacité à s’auto-produire quelles que soient les circonstances. Ils nourrissent chemin faisant toute une mythologie de l’accomplissement de soi qui met l’accent sur la toute puissance et la légitimité naturelle liée au « don », au « destin », à une force cachée, qui explique in fine la capacité d’auto-apprentissage et la réussite qui s’ensuit. C’est un récit édifiant dans lequel la dimension problématique du rapport au savoir, à soi-même, aux autres, à la société, est gommée, tandis que la réussite garde sa part de magie et de mystère (les dons, le hasard, la chance), tout en s’expliquant par des qualités ordinaires : ardeur au travail, sens des relations, goût pour l’action par exemple.

C.T.

Vous faites un rapprochement intéressant entre l’image de l’autodidacte “aux prises avec les épreuves de la vie, solitaire, condamné à s’auto-produire” et la figure du “Grand homme” telle que Moscovici la décrit (dans “l’Age des foules”), à savoir une entité en rupture, progressant par auto-référencement jusqu’à “devenir le fils de ses oeuvres” et telle que Freud (dans “Psychologie des foules et analyse du moi”) la caractérise comme expression du narcissisme et de l’auto-suffisance. N’êtes-vous pas allée trop loin dans l’idéalisation du personnage dont vous faites le modèle du sujet contemporain “revendiquant l’autonomie de sa ligne d’existence”?

H.B.

La figure de l’autodidacte est très actuelle dans sa manière de mettre en scène la conflictualité du lien social, entre déliaison et affiliation. Témoignages, mythes, romans d’apprentissages proposent une variation sur ce thème, en mettant en intrigue la tension liaison/déliaison, affiliation/désaffiliation, dans la narration d’une aventure dont l’énigme porte bien sûr sur l’issue de cette expérience, de cette traversée : le sujet va-t-il survivre aux épreuves qui jalonnent son parcours ? Va-t-il en sortir régénéré comme le phoenix qui renaît de ses cendres ? Cette thématique est d’une actualité particulièrement sensible alors que nous expérimentons la reconfiguration des formes du lien social sur fond d’incertitude, et que dans le même temps nous sommes invités à être « auteurs de notre vie ». La figure de l’autodidacte « scénarise » cette aventure du sujet contemporain désorienté, dont les affiliations ne vont plus de soi, qui ne peut plus confier la prise en charge de son destin à un tiers. C'est une figure puissante par son pouvoir de thématiser, de donner une forme stylisée à la condition d’un sujet social en rupture d’identification et d’affiliation, contraint à l’autodétermination dans une relation problématique à lui-même et au monde.

Il entretient de ce point de vue une certaine parenté avec le meneur dont nous parle Freud dans Psychologie des foules et analyse du moi. L’auto-suffisance du meneur (équivalent du père de la horde primitive) est un trait distinctif qui différencie celui-ci des individus en foule: aujourd’hui encore, écrit Freud, les individus en foule ont besoin de l’illusion d’être aimés de manière égale et juste par le meneur, mais le meneur, lui, n’a besoin d’aimer personne d’autre, il a le droit d’être de la nature des maîtres, absolument narcissique, mais sûr de lui et ne dépendant que de lui.

Dans L’âge des foules, Serge Moscovici poursuit cette exploration de la psychologie des grands hommes en s’appuyant également sur les écrits de Le Bon et de Tardes, mais aussi Marcel Mauss. Un trait dominant du « Grand homme » est d’être un « sans famille » qui se construit, dans le meilleur des cas, un ailleurs source d’identification, une famille idéale. C’est dans cette logique de rupture qui se veut émancipatoire que les uns et les autres sont condamnés à devenir les fils de leurs œuvres, à s’auto-engendrer et à devenir un support d’identification.

C.T.

Vous consacrez de nombreuses pages de votre ouvrage à démontrer de quelle manière la figure de l’autodidacte hante l’imaginaire de la formation en s’enrichissant toujours davantage de connotations nouvelles et vous référant à Cornélius Castoradis, vous affirmez que cet imaginaire donne forme et consistance aux rapports sociaux. Pouvez-vous développer ici cette idée (empruntée à Edgar Morin) selon laquelle le tissu social réel se fabrique avec de la pensée mythique ?

H.B.

Les travaux de Cornélius Castoriadis soulignent en effet la fonction structurante et dynamique de l’imaginaire social : il donne forme à la réalité et génère l’organisation de la société et ses transformations. La réalité est une construction « sociale-historique » et comprendre le sens de nos activités suppose donc de faire retour sur les fondements imaginaires qui les constituent. Edgar Morin va dans le même sens quand il souligne combien la pensée mythique « co-tisse » le tissu social , « mais aussi le tissu de ce que nous appelons réel ».

Cette contribution de l’imaginaire social à la construction sociale de la réalité nous permet notamment de comprendre la résistance de la représentation de l’autodidacte. Il ne suffit pas bien sûr de décréter que les autodidactes n’existent plus pour faire disparaître le poids de cette représentation. Chacun continue à se définir ou à désigner autrui « d’autodidacte » dans certaines circonstances.

Divers cadres théoriques peuvent être convoqués pour rendre compte de la résistance de la représentation: « L’autodidacte » constitue une figure centrale et le noyau dur de la mise en scène et en récit du sujet engagé dans l’aventure de sa formation, dans les contes, romans d’apprentissages, témoignages de diverses formes. Un noyau dur construit historiquement autour d’enjeux idéologiques puissants. Il est constitutif de la mémoire collective et d’un imaginaire partagé à partir duquel les représentations nouvellement produites s’ordonnent nécessairement. Cette figure entre aussi en résonance avec des images archétypiques de l’auto-engendrement, et n’est pas sans évoquer à ce titre les « thématas », « idées force » partagées collectivement et génératrices d’autres représentations. Sur ces rapports subtils entre représentations, thématas, mythes, imaginaire, je m’emploie dans l’ouvrage à préciser distinctions et complémentarités.

La représentation de l’autodidacte fonctionne toujours, et peut-être plus que jamais comme repère identitaire. C’est à ce niveau qu’elle « co-tisse » le réel, comme d’autres figures emblématiques, en proposant tout à la fois une traduction de la réalité et de son ordre et un support identificatoire, en indiquant notamment ce qui est du point de vue de la société ou d’un groupe désirable ou non. La figure de l’autodidacte est ainsi emblématique de la condition d’un sujet en formation qui cherche à s’autonomiser. Elle joue alors un rôle de premier plan dans l’orientation inconsciente des pratiques, à travers sa fonction prescriptive et normative. Avec son double aspect disqualifiant (la vie organisée autour du manque de savoir) et valorisant (le self-made-man auto-producteur de sa réussite), la représentation indique bien, à un moment donné, dans un contexte socio-historique précis, les chemins à suivre et à éviter en matière d’apprentissage. A ce titre elle participe à la construction sociale de la réalité.

C.T.

Si l’on quitte le domaine des repésentations pour celui des pratiques, vous n’hésitez pas, explorant la notion d’apprentissage informel à exhumer les oeuvres d’Yvan Illich (“La société sans école”) qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les années soixante-dix en raison de leur radicalité et de leur utopisme.

Pouvez-vous montrer en quoi la philosophie illichéenne connaît aujourd’hui un regain d’actualité et d’estime à travers les tentatives de promotion de ce qu’on appelle le modèle alternatif de formation?

H.B.

J’évoque en effet le point de vue d’Yvan Illich sur l’apprentissage informel dans un chapitre consacré à une mise en perspective historique des enjeux et débats sur l’autodidaxie.

Le fait que les positions d’Illich à propos de la fonction de l’école aient pu sembler provocatrices dans les années 1970 n’est peut-être pas le plus important. Curieusement, son point de vue s’inscrit dans certaine tradition qui a pour cadre le débat récurrent sur la valeur formative ou non de l’expérience vécue. Deux conceptions de la place de l’expérience dans l’acquisition de savoirs se côtoient ou s’affrontent selon les périodes : l’une tend à valoriser, voir à idéaliser la valeur formatrice de l’expérience « brute » du sujet dans sa vie ordinaire comme dans les circonstances plus exceptionnelles ; l’autre avance que l’expérience « brute » est potentiellement « déformatrice », « aliénée », source d’aveuglement, parce que fortement ancrée dans des processus non conscientisés (de l’ordre de l’habitus dirait-on aujourd’hui). L’expérience deviendrait formatrice dans certaines conditions : en étant réfléchie, retravaillée, déconstruite, au sein de dispositifs, notamment scolaires.

Dans les années 1970, au moment où Ivan Illich publie Une société sans école (le titre original est plus justement « La déscolarisation de la société »), il y a affrontement entre ces deux points de vue. Cet affrontement s’exprime notamment au sein du courant de l’Education permanente qui connaît au cours de cette période ses pleins développements: Illich est dans le camp de ceux qui mettent en avant la valeur formatrice des expériences diverses de la vie ordinaire. Ce point de vue est dans l’air du temps, de nombreux ouvrages paraissent sur cette question, mais le point de vue d’Illich repose sur une critique radicale des institutions en général, de l’institution scolaire en particulier. Son point de vue sera discrédité, mais il sera aussi une source d’inspiration forte, notamment pour des chercheurs qui joueront un rôle clef dans la constitution du paradigme de l’autoformation, je pense ici bien sûr à Gaston Pineau et à son modèle ternaire de l’autoformation.

Cette attention cristallisée sur Une société sans école a pu faire oublier d’autres textes qui s’avèrent aujourd’hui d’une importance majeure, notamment dans l’approche des processus de l’apprentissage autonome (Némésis médicale notamment).

Revenons à ces textes : Ivan Illich développe une conception dynamique de la productivité sociale : il souligne la complémentarité existant entre ce qu’il appelle les modes de production autonomes, reposant sur l’initiative des sujets sociaux maîtrisant le sens de leurs pratiques, et les modes de production hétéronomes, obéissant à une logique programmatique qui échappe aux individus. Un développement harmonieux de la société et des individus supposerait un certain équilibre entre ces deux modes de production. Or, remarque Illich exemples à l’appui, à partir d’un certain seuil de domination de la logique hétéronome, l’ensemble devient contre-productif, le système s’emballe et peut produire des effets inverses à ceux qui étaient attendus (rendre les gens malades au lieu de les soigner, les conduire à « désapprendre » au lieu de les former etc.). Il distingue deux dimensions dans cette contre-productivité :

1/une contre-productivité paradoxale liée au fait que le système hétéronome finit par tourner en roue libre, tout en justifiant sa logique par les mythes qui le portent, tel le mythe d’hybris, mythe de la démesure, du toujours plus d’avoir (par opposition à l’être), de la surenchère, de l’idée de progrès associé aux développements techniques, santé parfaite, éternité etc.

2/ une contre-productivité structurelle liée au fait que le système hétéronome détruit les capacités de production autonome des individus et groupes. Quand le mode de production hétéronome devient dominant, les individus ne peuvent survivre que dans la dépendance aux biens et services produits de façon hétéronome, mais peu d’individus ont accès à ces biens dans une société inégalitaire. Ainsi l’autodidaxie peut être l’unique mode de formation pour ceux qui n’ont pas accès à la scolarisation, mais cette forme d’apprentissage est dans le même temps dévalorisée.

Cette analyse a des résonances profondes avec nos préoccupations d’aujourd’hui, ce qui explique que, peu de temps après sa mort, l’ensemble de l’œuvre d’Illich soit à nouveau éditée en français, intégrant des textes qui n’avaient jusqu’alors pas été traduits.

Où situer cette actualité de la pensée d’Illich ? A plusieurs niveaux et j’en fournirai quelques exemples :

- l’analyse d’Illich brasse, on le voit bien, des préoccupations chères aux psychosociologues, à propos notamment du pouvoir des individus et des minorités dans les rapports sociaux d’influence ;

- l’actualité de cette analyse est aussi à situer dans le fait qu’il propose à la fois une approche des dynamiques sociales dans leur complexité et une vision écologique et systémique qui est mieux comprise aujourd’hui que dans les années 197O ;

- dans le domaine de la formation qui nous intéresse plus particulièrement, cette analyse éclaire les liens de complémentarités existant entre autodidaxie et apprentissages formels classiques, correspondant à la logique programmatique de « l’hétéroproduction » de savoirs ;

- dans le domaine de l’orientation professionnelle, qui constitue un enjeu important dans la société d’aujourd’hui, avec notamment le développement des dispositifs de « VAE » (Validation des acquis de l’expérience), l’articulation entre autoproduction de savoirs et de compétences dans l’expérience acquise, professionnelle par exemple, et hétéroproduction de savoirs à travers des programmes et des objectifs prédéfinis par d’autres dans des formations classiques, se voit reconnue officiellement. Cette reconnaissance de la complémentarité possible des modes de production autonome et hétéronome est constitutive du modèle de la « formation tout au long de la vie ».

C.T.

Dans votre analyse des fonctions de l’autodidaxie, vous avez évoqué avec raison le fait que celle-ci intervient positivement comme ressource dans des moments de transition, de crise, de transformation personnelle. Vous attribuez apparemment un potentiel d’autoformation aux situations transitionnelles.

H.B.

L’autodidaxie est une ressource première quand nous devons trouver des solutions immédiates à des problèmes imprévus qui affectent profondément notre existence, par exemple quand notre survie est engagée, ou dans les périodes de transition de la vie, qui sollicitent la part la plus créative de nous-mêmes. On observe également cette nécessité du « saut autodidactique » dans la réalisation d’une l’œuvre. Analysant les liens entre la vie personnelle, les épreuves traversées et les avancées théoriques de Freud, Didier Anzieu remarque que l’impulsion créatrice surgit dans des moments de transition, où Freud est confronté à la disparition ou à la perte d’un proche. D’une manière plus générale, le processus créateur est décrit comme une succession d’épreuves qui ramènent la personne au plus intime d’elle-même, et peuvent lui faire découvrir des ressources inemployées. La crise se résout dans la capacité à créer un espace transitionnel qui permet de refaire du lien. « Pour créer il faut défaire des liens et faire de nouveaux liens » résume Anzieu.

A une autre échelle, sur le plan collectif, l’autodidaxie est également convoquée dans les périodes de mutation liés aux développements de nouvelles techniques par exemple.

Ces situations ont en communs d’être des situations « transitionnelles », ce qui appelle effectivement quelques précisions. Mon approche de la transition s’inscrit dans une perspective psychosociologique, qui intègre les apports fondateurs de Winnicott, et les apports ultérieurs de René Kaes. L’espace familier, « local », a une fonction d’étayage et constitue un espace transitionnel favorable à l’auto-apprentissage, parce qu’il est protégé du contrôle social élargi. C’est un espace de « l’entre soi » qui garantit une sorte d’intimité sociale, ouverte à l’inventivité, au tâtonnement, à l’expérimentation, tolérante à l’erreur, à l’incertitude, à la rêverie. Plus largement, toutes les situations qui font une place à la convivialité sont potentiellement autoformatives, parce que, dans ce cadre, la créativité, l’ingéniosité et la débrouillardise peuvent donner le meilleur d’elles-mêmes.

Cette approche spatiale de la transition est complémentaire de l’approche temporelle évoquée précédemment.

C.T.

Il reste à aborder les rapports de l’auto-formation avec l’invention, l’innovation, la transgression du savoir constitué ou cristallisé. Vous utilisez la notion de bricolage des savoirs (comme Bourricaud utilisait celle de bricolage idéologique), pour définir des processus de brassage d’éléments informationnels représentationnels chez les sujets engagés dans des actions créatrices.

H.B.

Le processus créateur s’appuie volontiers sur des idées, des savoirs, des « trouvailles » « bricolés ». Il s’appuie aussi sur le bricolage entre des formes de savoirs différents : savoirs théoriques et pratiques ; savoirs « savants » et savoirs de la vie ordinaire. L’art du bricolage donne sa pleine mesure dans le goût et la capacité à mettre en relation des formes de savoirs dispersés.

La création va donc souvent de pair avec une disposition à l’exploration autodidactique vagabonde, peu soucieuse des cloisonnements entre types et hiérarchies de savoirs. Le processus créateur appelle même un rapport transgressif au savoir, quand l’exigence d’un projet impose de rompre avec les manières de penser et de faire en usage. Les historiens de l’éducation remarquent d’ailleurs que l’autodidaxie fleurit volontiers aux lisières des savoirs non encore contrôlés. Ce défrichage est souvent le fait de « francs-tireurs » qui prennent plaisir à l’exploration par tâtonnement, au « bidouillage ». Des inventeurs qui n’hésitent pas à manier différentes formes de savoirs et à rompre avec les conformismes culturels, en affichant une pensée « divergente », aventurière, pratiquant le « hors-piste » exploratoire, qui permet de faire de nouvelles mise en relation de savoirs, chaque fois qu’il s’agit de produire de l’inédit.

La pratique du bricolage, « la science du concret » selon la formule de Claude Levi-Strauss, métaphorise particulièrement bien cet art de la pensée « divergente » qui caractérise une autodidaxie en recherche de mises en relation inédites. Le bricoleur n’est-il pas celui qui met en relation des objets hétéroclites pour produire quelque chose de nouveau ? Le bricoleur vit dans un monde d’objets « qui pourront toujours servir » remarque Claude Lévi-Strauss.

Cet engagement des apprentissages informels dans le processus créateur s’inscrit dans une dynamique qui met en jeu une implication très forte des sujets et des qualités d’expertise autodidacte évoquées précédemment.

Les théories classiques de l’apprentissage intègrent peu cette dimension du bricolage qui présuppose une disposition à une certaine souplesse dans l’appréhension des objets explorés. Peut-être parce que ce type de mobilisation alliant créativité et apprentissage peut difficilement s’inscrire dans une programmation.

Références bibliographiques

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CASTORIADIS, C., 1975, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil.

DURAND, G., 1994, L’imaginaire, Paris, Hatier.

ILLICH, I., 2004, Oeuvres complètes, Volume 1, Paris, Fayard.

MORIN, E., 1986, La méthode, tome III : La connaissance de la connaissance, Paris, Seuil.

MOSCOVICI, S., 1985, L'âge des foules, Paris, Editions Complexe.

PINEAU, G., MARIE-MICHELLE, 1983, Produire sa vie ; autoformation et auto-biographie, Paris, Edillig.

TERROT, N., 1998, Histoire de l’éducation des adultes, Paris, L’Harmattan.